arlequin sauvage - affiche

 

 

mise en scène :

Thierry Pillon

 

scénographie/costumes :

Jean-Luc Taillefert

lumières :

Etienne Briand

son :

Bertrand Roque

 

 

 

 

 

 

avec :

 

Normann Barreau-Gely

François Chaix

Cécile Favereau

Thierry Pillon

Aurélie Rusterholtz

L'oeuvre

Acte I, scène III, (extrait)
Lélio, Arlequin

 

ARLEQUIN. - Les sottes gens que ceux de ce pays : les uns ont de beaux habits qui les rendent fiers ; ils lèvent la tête comme des autruches, on les traîne dans des cages, on leur donne à boire et à manger, on les met au lit, on les en retire ; enfin on dirait qu’ils n’ont ni bras ni jambes pour s’en servir.

LÉLIO. - Le voilà dans les réflexions, il faut que je m’amuse un moment de ses idées. Bonjour, Arlequin.

ARLEQUIN. - Ah ! te voilà : bonjour, mon ami.

LÉLIO. - A quoi penses-tu donc ?

ARLEQUIN. - Je pense que voici un mauvais pays, et si tu m’en crois, nous le quitterons bien vite.

LÉLIO. - Pourquoi ?

ARLEQUIN. - Parce que j’y vois des sauvages insolents qui commandent aux autres et s’en font servir, et que les autres, qui sont en plus grand nombre, sont des lâches qui ont peur, et font le métier des bêtes : je ne veux point vivre avec de telles gens.

LÉLIO. - Tu loueras un jour ce que ton ignorance te fait condamner aujourd’hui.

ARLEQUIN. - Je ne sais ; mais vous me paraissez de sots animaux.

LÉLIO. - Tu nous fais beaucoup d’honneur. Écoute, tu n’es plus parmi des sauvages, qui ne suivent que la nature brute et grossière, mais parmi des nations civilisées.

ARLEQUIN. - Qu’est-ce que cela, des nations civilisées ?

LÉLIO. - Ce sont des hommes qui vivent sous des lois.

ARLEQUIN. - Sous des lois ! Et quels sauvages sont ces gens-là ?

LÉLIO. - Ce ne sont point des sauvages, mais un ordre puisé dans la raison pour nous retenir dans nos devoirs, et rendre les hommes sages et honnêtes gens.

ARLEQUIN. - Vous naissez donc fous et coquins dans ce pays ?

LÉLIO. - Pourquoi le penses-tu ?

ARLEQUIN. - Il n’est pas bien difficile de le deviner. Si vous avez besoin de lois pour être sages et honnêtes gens, vous êtes fous et coquins naturellement : cela est clair.

LÉLIO. - Bon : nous naissons avec nos défauts comme tous les hommes. La raison seule soutenue d’une bonne éducation peut les réformer.

ARLEQUIN. - Vous avez donc de la raison ?

LÉLIO. - Belle demande ! Sans doute.

ARLEQUIN. - Et comment est faite votre raison ?

LÉLIO. - Que veux-tu dire ?

ARLEQUIN. - Je veux savoir ce que c’est que votre raison.

LÉLIO. - C’est une lumière naturelle, qui nous fait connaître le bien et le mal et qui nous apprend à faire le bien et à fuir le mal.

ARLEQUIN. - Eh mort-non de ma vie, votre raison est faite comme la nôtre.

LÉLIO. - Apparemment, il n’y en a pas deux dans le monde.

ARLEQUIN. - Mais puisque vous avez de la raison, pourquoi avez-vous besoin de lois ? car si la raison apprend à faire le bien et à fuir le mal, cela suffit, il n’en faut pas davantage.

 

 

Note d'intention

Pour qui s’attarderait à méditer sur l’impact de la civilisation et de ses codes sur la condition humaine, n’y aurait-il pas vanité - dans les deux sens du terme - à convoquer en soi le bon sauvage, relégué depuis des siècles au pavillon des mythes ? C’est ce à quoi se risque, dans un actuel salon philosophique, un jeune homme tourmenté par les effets pervers de la société dite civilisée. Dans une mise en abyme du théâtre dans le théâtre, il fait ressurgir, sous les traits d’Arlequin, l’un de ces sauvages : un amérindien tout droit déporté de la nation huronne, dont la candeur naïve pouvait être l’objet de risée. C’était sans compter sur l’acuité de l’écoute et du regard de ce dernier et sur sa grande vivacité d’esprit. Elles font de lui, à son insu, un terrible miroir tendu à ceux qui prétendraient l’éduquer. Nul n’en sortira indemne… et moins encore que notre jeune philosophe, l’homme d’aujourd’hui qui tirera les leçons de cette drôle, émouvante, mais surtout édifiante confrontation. Ce texte et les sujets qu’il aborde, résonnent aujourd’hui de façon particulièrement criante.

Thierry Pillon

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